Aujourd'hui un débat s'ouvre sur Ipaginablog, un débat que nous voyons souvent apparaître sur google+, surtout lorsqu'il s'agit de parler du réseau social Facebook ou lorsqu'un googlenaute a le malheur de malmener outrageusement la langue française: "Est-ce que le parler jeune est un danger pour la langue française?"
Blablateuse invétérée, j'y vais donc de mon petit blabla sur la question. Donc...
Épineux problème que celui de la langue qui brûle les lèvres
et échauffe les têtes, la langue est une chose magnifique qui nous sert à
transmettre des sensations, des sentiments, esthétique dans le fond, mais aussi
dans la forme, elle est celle des poètes et des artistes. Mais elle est aussi
chose publique, et la République n’admet pas la tyrannie. Chose banale dont on
use tous les jours à des fins bien prosaïques, dans un but bien trivial parfois
mais l’on s’amuse sans s’en rendre compte de cette langue _ « Tu me passes
le pain ?, et ce jeu enfantin de mon Chéri d’Amour qui fait passer sous
mon nez, pour le reposer là où il l’avait pris le pain que je lui avais demandé* ;
mon philologue d’Amour me fait remarquer que donner serait plus approprié.
La remarque est judicieuse, première intervention dans le
débat et première remarque fichtrement vraie, c’est une langue vernaculaire, c’est
la langue courante en France, elle n’est pas morte et c’est parce qu’elle n’est
pas morte (comme l’est le latin ET PAS L’OCCITAN contrairement à ce qu'a osé m'affirmer un jour une
collègue d’espagnol…) et parce qu’elle vit, elle est soumise à évolution,
mutation même. Pourquoi employer le terme de mutation, un peu comme dans la
génétique ?
Lorsque des élèves me font la remarque que certains auteurs
ou moi-même utilisions des mots d’argot, des mots de verlan, ou toute autre
forme de vocabulaire bien éloigné du lexique pompeux et pontifical qu’ils
imagent chez ceux qui écrivent ou ceux qui enseignent cette langue, je leur fais
la démonstration suivante… dans mes cours on fait aussi des sciences, cela va sans
dire.
La langue française est une langue vivante, elle n’est pas
comme le latin inusitée et fait partie du quotidien de tous. Nous avons depuis
bien longtemps admis l’idée que les choses sont en perpétuel mouvement et que l’immuable
n’est qu’une formation de l’esprit contre laquelle Giordano Bruno dont « le
dynamisme qui considère la force vivante et mouvante »** n’admet pas que
la réalité puisse être statique. Ainsi, si nous sommes soumis à un monde qui
est en mouvement, la langue dont on use sera elle aussi soumise à mutation.
Mais qu’est-ce qu’une mutation ?
Vous connaissez l’œuvre de Stan Lee, X-Men ? Ce comics qui relate la
chasse aux [nouvelles] sorcières ; les mutants.
Une mutation (un peu poussé à l’extrême chez Stan Lee)
c’est l’altération du matériel
génétique(ADN ou ARN) d'une cellule ou d'un virus qui entraîne une modification
durable de certains caractères du fait de la transmission héréditaire de ce
matériel génétique de génération en génération.
Modification anormale de l'ADN d'un
gène, soit spontanément lors de la division cellulaire, soit sous l'influence
d'agents extérieurs appelés mutagènes. Ce gène ainsi modifié est transmis aux
cellules filles. Certaines mutations n'ont aucune conséquence sur la cellule.
D'autres sont la première étape d'un long processus de cancérisation. Ainsi, le
cancer est considéré comme une maladie génétique puisqu'il débute à l'échelon
d'un gène, à l'intérieur d'une cellule. Toutefois, le cancer n'est pas une
maladie héréditaire(Merci
Futura-sciences)
Jusqu’où
peut-on faire l’analogie entre les langues et un organisme vivant ?
Voyons les langues dans le monde représentées sous
forme d’un arbre phylogénétique.
Vous avez mis en confrontation ces deux arbres, le
premier pour le monde du vivant sur le site de l'ens de Lyon , le deuxième pour le monde des langues (trouvé sur ce site).
Maintenant, considérons le français comme une langue aussi protéiforme que ce
que l’est l’espèce humaine, les homininés pour ceux qui suivent. Chaque être
humain présente tout un panel de spécificité/mutation génétique propre à lui-même,
il y en a des grands, des petits, avec des carnations différentes, des cheveux
différents, des yeux … Bref, on est tous différents (mais on fait partie,
biologiquement parlant de la même race… voilà pourquoi le terme même de racisme
me dérange quand on parle des êtres humains…***)
Au
même titre qu’il n’y a pas un seul homme type d’être humain, j’imagine les
langues comme aussi multiples et soumises aux mutations. Rappelez-vous, la
définition d’une mutation génétique soit spontanée, soit sous l’influence d’un
mutagène. Elle peut soit perdurer (création de nouveaux mots qui répondent à
des réalités qui n’existaient pas auparavant, nouvelles entrées dans le
dictionnaire, autant ancrés dans nos langages que ce que l’est le pouce
opposable dans notre dictionnaire des gènes) et qui pourra elle-même donner
naissance à de nouvelles mutations (comme notre capacité à parler qui découle
de notre station debout/ la langue française offre pas mal de mots composés et
dérivés). La mutation peut être soit bénéfique (enrichissement de la langue,
adéquation de la langue avec son époque) soit délétère comme le cancer (oublie
des règles simples qui permettent de nous comprendre entre nous).
Ceux
qui ne seraient pas vraiment en mesure de savoir la différence entre un gène,
un chromosome et l’ADN, je vous conseille d’aller voir cette petite vidéo trèscourte ci-dessus, pour faire un petit point.
Après
tout ça, on va faire simple les p’tizamis (comme dirait mon présentateur TV
préféré !)
·
Une cellule =
le français
·
La cellule est
composée de plusieurs chromosomes = les niveaux de langue, le patois, l’argot,
le « parler jeune » et toutes les formes que peut prendre cette
langue.
·
Autour de ses chromosomes,
il y a les chaînes de protéines d’ADN (Acide désoxyribonucléique un mot barbare,
juste pour se la péter). Le texte en lui-même, le parler en lui-même.
·
Chaque chaîne
de protéines forme des phrases et une phrase commence par une majuscule (le
promoteur) et se termine par un point (le codon) comme les balises en
informatique …****
·
L’alphabet est
limité à ATGC, mais avec 3 milliards de lettres, « l’immense livre de la
vie » (j’aime beaucoup la formule de la vidéo), le gros le Robert de la
vie (moins poétique), facilite l’analogie avec la linguistique…
C’est simplifié et schématisé, mais c’est une
représentation personnelle***** de la langue qui m’a permis de comprendre ses
changements.
Cet épineux problème qui se heurte à l’image d’Épinal qui
veut que la langue doive être préservée, conservée totalement intacte dans un
petit coffre [qui prend parfois la poussière] nous conduirait donc à observer
les éléments mutagènes de cette langue. Je vais y aller un peu fort, mais j’assume :
batailler contre l’évolution de la langue et chercher à l’épurer serait un peu
un nazisme linguistique. Contrôler, museler, éradiquer certains gènes de la
langue sans pour autant laisser la nature œuvrer elle-même reviendrait à
vouloir créer la langue aryenne par excellence.
Il faut défendre et illustrer la langue française et créer
de nouveaux mots comme la Pléiade, faire entrer dans les trésors que
contiennent nos vieilles valises de mots poussiéreuses des mots d’argot comme
Hugo dans ses Misérables car : « Lorsqu'il
s'agit de sonder une plaie, un gouffre ou une société, depuis quand est-ce un
tort de descendre trop avant, d'aller au fond? Nous avions toujours pensé que
c'était quelquefois un acte de courage, et tout au moins une action simple et
utile, digne de l'attention sympathique que mérite le devoir accepté et
accompli. Ne pas tout explorer, ne pas tout étudier, s'arrêter en chemin,
pourquoi? S'arrêter est le fait de la sonde et non du sondeur. […]
Maintenant, depuis
quand l'horreur exclut-elle l'étude? Depuis quand la maladie chasse-t-elle le
médecin? Se figure-t-on un naturaliste qui refuserait d'étudier la vipère, la
chauve-souris, le scorpion, la scolopendre, la tarentule, et qui les
rejetterait dans leurs ténèbres en disant – Oh! que c'est laid! Le penseur qui
se détournerait de l'argot ressemblerait à un chirurgien qui se détournerait
d'un ulcère ou d'une verrue. Ce serait un philologue hésitant à examiner un
fait de la langue, un philosophe hésitant à scruter un fait de l'humanité. Car,
il faut bien le dire à ceux qui l'ignorent, l'argot est tout ensemble un
phénomène littéraire et un résultat social. Qu'est-ce que l'argot proprement
dit? L'argot est la langue de la misère. ». Il faut laisser ceux qui
se l’approprient la démembrer, la travailler, la déconstruire et la construire,
à l’image de ce que font certains auteurs francophones.
Il faut aussi s’adapter. Le temps est parfois à l’économie,
comme aux débuts du SMS (ça date, j’étais au collège), cherchant à économiser l’espace
pour garder intact son forfait texto, j’utilisais moi-même des abréviations barbares,
sans espaces comme au moyen-âge dans une phonétique approximative (excuse qui
ne tient plus, la plupart des forfaits sont illimités sur ce point et user de
cette orthographe agressive sur les réseaux sociaux qui ne vous limitent pas en
nombre de caractère est plus une preuve de fainéantise aujourd’hui).
Il y a aussi la confiance aveugle dans les technologies et
cette ahurissante idée que le correcteur de Word fera tout le travail… Même
Antidote qui est un excellent correcteur ne peut se passer de la tête de l’homme
pour débarrasser le texte de ses coquilles, erreurs et fautes. Mettre en
équation la règle de l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire
avoir n’est pas chose aisée… Car il faut bien le dire, le langage est le fruit
de l’esprit humain, hautement plus complexe que les 0 et les 1 qui s’alignent
et même si les nouvelles puces neurosynaptiques imitent le cerveau humain et
permet de mettre une branlée à des gugus à un jeu, j’ai des doutes quant à la capacité à recréer cet esprit et donc à corriger
la langue qui en découle.
S'il me fallait donner un avis simple et clair, le parler jeune n'est pas à mon sens un danger pour la langue française puisqu'il en fait partie. Ce n'est pas une langue toujours belle, certaines mutations doivent être éradiquées, mais elle a le mérite d'être le reflet de notre société et de l'esprit humain. Donc non, pas de vaccin pour combattre dans une lutte finale contre cette langue mutante, mais bien une observation attentive et un guidage sage et mesuré, un peu d'homépathie en somme, pour ne pas laisser cette langue se métastaser...
Ainsi, serais-je d’avis de laisser la quintessence de la vie,
le mouvement, faire son œuvre ; laisser la variété des cultures et des éléments
mutagènes agir, tout en la guidant un peu, histoire de limiter l’apparition de
gènes cancéreux dans la langue... Sans dire que les consoles et les jeux
abrutissent, sans croire que les jeunes sont bêtes et sans culture, il faut que
les guides (parents, entourage, enseignants) leur donnent goût à la lecture.
Donner goût à la lecture ou plutôt aux lectures pour qu’ils puissent apprécier plusieurs
français, pour leur donner le goût de l’écriture. Car oui, comme dans Les Mots de Sartre, comme dans En Lisant,
en écrivant de Gracq qui montrent l’écrivain (ou écrivant) comme étant d’abord
un lecteur, il faut d’abord lire pour avoir envie d’écrire, ou comme dans l’article
sur la jeune ipagineuse Allison******, l’écriture est une mutation génétique de la lecture…
*Évidemment, cela marche aussi avec
le sel, l’eau, les plats…. Et depuis 6 ans il me fait le coup, et depuis 6 ans
je me fais prendre, et depuis 6 ans nous en rigolons… Nous verrons ce qu’il en
est dans 66ans lorsque nous ne mangerons plus que de la soupe sans sel, comme
le pain…
**Emile Bréhier, Histoire de la philosophie.
*** Dieu a dit
: il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes
grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura
des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a
ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce
sera très dur ! (Coluche)
**** Mais Giordano Bruno avait raison, des liens, des liens, des liens… que
c’est beau de faire des liens, pour parler comme les didacticiens, que c’est beau
le décloisonnement (pratique éducative qui consiste à créer des liens entre les
différentes disciplines) !
***** Représentation personnelle, mais il y a de fortes chances pour que l’analogie
ait été faite par de plus érudits, plus sages et plus intelligents que moi
auparavant et si quelqu’un avait en sa possession une théorie analogue, qu’il
me le fasse savoir, que je puisse rectifier mon blabla du jour.
****** Petit bémol, l'article est très joli, mais "la lutte contre les préjugés" commence par le plus rebutant et le plus énervant pour moi: les jeunes s'abrutissent devant les consoles... Découvrir l'enfer de Dantes en jouant à Dante's Inferno, s'approprier l'histoire, ses personnage et la culture de l'Europe (et bientôt des USA) avec Assassin's Creed, être ébahit devant la beauté des graphismes et des textures, voir les Jeux-vidéos comme une création artistique en usant du vocabulaire de l'historien de l'art à côté de celui de l'informaticien, s'ouvrir à la culture et la poésie japonnaise dans Okami et je pourrais encore en parler durant des heures, tout cela est-ce de l'abrutissement?
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