Le Qu’ès aquo du jour… Geek, Otaku, No Life, une espèce pas
si nouvelle que ça en fin de compte.
Avec la prolifération des nouvelles technologies dans la
maison de monsieur et madame tout le monde et la facilité d’accès à tout ceci,
tout le monde se dit « geek » aujourd’hui, tout le monde se vante
d’en faire partie… Fausse honte et fausse gêne, la voix prend de faux trémolos et
on entend alors la personne dire avec un sourire victorieux à peine caché
« ouais… j’avoue, je suis un geek, carrément no life ! »…
Un de mes élèves m’a demandé un jour si j’en étais une ?
Répondant bien gentiment que non, je « n’en faisais pas partie » (ça
fait un peu secte quand même), je suis passée à autre chose et j’ai continué à
leur expliquer comment on allait travailler ensemble. Je dois quand même dire
que cette petite question innocente a généré quelques interrogations. En
suis-je une ? Est-ce assez bien pour le marquer sur notre curriculum vitae
ou bien doit-on cacher cela comme une chose honteuse et terrer cette caractéristique
au plus profond de nous même comme lorsqu’on nous demandait si on avait déjà
embrassé quelqu’un à l’école primaire et qu’on n’osait avouer que mis à part le
doudou, nos lèvres n’avaient jamais rencontré celles d’un camarade… Mais je
m’égare et je me demande sérieusement, "c’est quoi un geek" ou comme on dit par
chez nous
Qu’ès aquo (à prononcer
bien entendu « kézako »
) ?
Et puis est-ce si nouveau que ça ? Est-ce une mode, la "geekitude" va
finir par être la norme à suivre si on ne veut pas passer pour … un geek ?
"Être ou ne pas être" geek, telle est la question.
Tout d’abord, faisons un petit point sur les problèmes de définition sociale et
lexicale que rencontre toute personne venant à s’interroger sur la nature
profonde de cette chose, que je vais chercher à définir (ou alors, je vais juste me contenter de rapporter des clichés aussi bêtes que méchants) avant d’en chercher les
origines, les vraies.
Portrait d’une espèce dont on entend tout le temps parler.
Le geek est normalement une personne peu au fait de la mode
et qui est désespérante de mauvais goût quand il est question de s’habiller
(car le geek n’est pas nudiste, le geek est même assez introverti), t-shirts
décalés, couleurs douteuses (avant c’est le caca doigt et le marron,
aujourd’hui je ne sais pas…), assortiment improbable de vêtements tous plus affreux
les uns que les autres. On imagine encore et toujours le geek habillé ainsi,
arborant sur un nez plein de points noirs les lunettes de tonton Lucien
éternellement glissantes, version cul-de-bouteille et cerclage aussi classe que
celles de mère-grand
.
Mais si on est aussi à l’aise qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine
quand il s’agit de parler mode comme moi, est-ce qu’on a basculé sans le savoir
du côté geek de la force ? Est-ce qu’on en est un, forcément, lorsqu’on ne
sait juste pas s’habiller? Non, bien entendu, il faut présenter d’autres
défauts de fabrication, comme une peau sur laquelle on pourrait organiser les X
games, tant ce ne sont plus des spots, mais des montagnes de pu, et un pucelage
qui ne fait aucun doute (non se secouer la nouille en pensant à Lara Croft, ce
n’est pas faire l’amour).
Mais pour être
des leurs, il faut, et c’est très important souffrir d’autres affections
pathologiques, il y a un prix à tout, notamment lorsqu’il s’agit de faire
partie de la « secte »…
Je dis secte, parce qu’on imagine le geek comme une personne
qui ne supporte pas se mêler à la foule des non-initiés. Poète des temps
modernes, à l’image de Baudelaire son esprit se « meut avec agilité »
au-dessus des miasmes morbides
que constitue la populace ignorante, il est « l’Albatros »
,
si à l’aise dans les hautes sphères, mais si maladroit lorsqu’il s’agit de se
déplacer sur terre (je pense que vous me voyez arriver, avec mes gros sabots…).
Le geek est donc une espèce assez peu encline à se mêler au reste du peuple.
Mais qu’est-ce qui le différencie du quidam de base en fait ? Le geek aime
des choses que tout le monde n’aime pas (ou n’est pas censé aimer). Il est féru
de jeux vidéo qui l’empêchent de sortir de chez eux, leur conférant un joli
hâle de cadavre anémié, il est super calé en informatique (ben faut bien savoir
faire fonctionner la bécane sur laquelle on fait tourner ses jeux, et non,
celui qui connait trois pauvres raccourcis genre ctrl+C/V n’est pas un geek
forcément…), du matos au bios, il connaît son bébé sur le bout des doigts et
est capable de réciter par cœur les perf’ de son « proce » en
énonçant une à une les cadences (hertziennes pour les non-initiés) atteintes,
avant et après over-clocking, pour prouver au bouffon qui l’a pas fait qu’il a
fait une grosse erreur. Bon, c’est sûr, maintenant, l’over-clocking se fait
presque tout seul et plus besoin de passer des heures sur des tutoriels pour
trouver la bonne marche à suivre et ne pas risquer de flinguer la machine… Le
geek aime la science-fiction, connaît
Star
Wars ou
Star-Trek sur le bout des
doigts, regarde pour se divertir
Battlestar
Galactica ou à défaut
Caprica,
joue à des jeux que les gens normaux ne comprennent pas comme les Waramers, et
se réunissent entre initiés pour parler de LEURS trucs…
Le portrait est assaisonné, je vous l’accorde et je ne fais
ici que retranscrire les on-dit et les préjugés qui circulent à propos du geek.
Il suffit de voir n’importe quel « bon » film américain pour s’en
convaincre, la caricature ci-dessus ne fait que colporter honteusement
,
j’en suis consciente, les railleries des jaloux et les propos les plus mesquins
des personnes qui rêvent d’être geek et qui pourtant n’y arriveront jamais, car,
j’y viens, n’est pas geek qui veut !
En fait le geek, c’est une personne passionnée, qui peut
souffrir de problèmes relationnels, d’où l’appellation d’origine contrôlée « No
Life ». Pas élevé en plein air, sauf s’il a le wifi et alors là, il arrive
qu’il mette le nez dehors, le geek ne sort pas beaucoup. Pourquoi faire
ça ? Ses passions le ravissent et il a le monde à porter de main, internet
toujours accessible, il ne comprend pas pourquoi il devrait sortir.
Mais, allons vers des propos un peu plus scientifiques et
avérés et ouvrons un livre, un vrai…
Mais si, un livre… ce truc archaïque, plein de mots, qui
prend la poussière et qui ne bénéficie pas de MàJ automatiques... du papier tout bête
quoi.
J’ouvre mon Oxford
Student’s Dictionnary (le terme geek n’est pas un terme français comme avez
pu le remarquer, et si effectivement je me la pète en citant cette prestigieuse édition qui figure effectivement dans ma bibliothèque, il a bien fallut que je me
dirige vers un dictionnaire de qualité pour relever le niveau de cet article)
et je lis en face de geek « a person who is not popular or
fashionable : a computer geek » et il me dit d’aller voir un
synonyme, « nerd », j’y vais, j’y cours… Et voilà ce que mon cher
dico me dit… « a person who is not fashionable (décidément, c’est un
leitmotiv) and has a boring hobby »
De toute évidence,
j’ai bien chargé le portrait, mais la question de l’apparence physique est
indissociable, de toute évidence, indissociable du geek. Pas populaire,
aujourd’hui ça reste quand même à voir au vu du nombre de personnes qui
trouvent ça cool, mais dont l’exemple le plus frappant et celui du passionné
d’ordinateur, puisque c’est l’exemple que le dictionnaire donne. Pour ce qui
est du nerd, le synonyme que le dico m’a dit d’aller voir, on nous rajoute une
petite caractéristique. Le nerd a un passe-temps ennuyeux. Ennuyeux, ça dépend
pour qui, si c’est son passe-temps, c’est qu’il ne doit pas trouver ennuyeux
(pas logique ce satané dictionnaire !), mais passons.
Depuis quelque temps déjà, un autre mot est apparu pour
décrire cette espèce en voie de développement, « otaku ». En
japonais, c’est une personne passionnée, à fond dans ces petites affaires,
autant dire la traduction de geek. En France, ce terme a pris une connotation
un peu différente, c’est une personne qui est addict à tout ce qui fait vibrer
le geek, mais plus orienté culture Japonaise (manga, musique, jeux, un peu tout
en fait, car la culture d’un pays ne se limite pas à un seul type de production
et ils ont d’autres formes d’expression et d’art dans ce pays, ils ont même de
vrais livres sans images
….).
Vous n’avez pas remarqué quelque chose ?
Moi qui rechigne d’ordinaire à employer trop d’anglicisme et
de mots étrangers (le latin, l’occitan et toutes les langues méditerranéennes
ne sont pas des langues étrangères), me voici depuis le début de ce texte, la
bouche pleine de geek, nerd et otaku… Il semblerait que nous n’ayons pas de
mots pour désigner ce genre de personne, ou bien, et c’est ce que je vais
m’efforcer d’expliquer, nous avons déjà un mot pour désigner ce genre de
personnes…
Le jeu vidéo, c’est pas fait pour les adultes me dit encore
et toujours ma maman (eh oui, ma chère maman ne connait pas les réalités du
marché du jeu…), c’est fait pour les enfants, et je crois que pour une fois,
j’accepte avec plaisir cette déclaration hâtive qui ne mesure pas sa propre
portée. C’est vrai qu’il y a quelque chose d’enfantin là-dedans, et on ne peut
que reconnaître une certaine vacuité à s’adonner à la pratique de certains jeux
vidéo. Mais il ne faut pas voir le joueur comme un attardé qui aurait loupé le
coche lorsqu’il s’est agi de grandir et murir… Au contraire, le joueur est
celui qui sait retrouver pendant un temps l’enfance. Le geek est comme le
Peintre de la vie moderne ,
un génie, pas plus, pas moins…
Pourquoi vais-je jusqu’à affirmer une telle chose ?
Si l’on regarde bien, le geek n’est pas quelque chose de complètement
nouveau… En effet, les premiers geek sont nés il y a fort longtemps dans la
littérature européenne, les premiers geek ont même inventé le concept de la vie
de geek, et si l'on devait être plus précis, nous dirions que les propos qui vont suivre semblent plus particulièrement refléter le nerd, qui semble, plus que le geek, présenter des signes d'inaptitude sociale, d'intelligence et d'obsessions. Pour des raisons pratiques, j'ai conservé le terme de geek, bien plus employé que nerd.
Comme je le faisais remarquer plus haut, le geek ne se mêle
pas à la foule et comme le poète tel que l’entend Baudelaire, il est supérieur en
toutes choses, mais et en même temps raillé par la populace ignare. Il est
comme Rimbaud, un visionnaire
,
le geek s’intéressait à des choses qui n’intéressaient personne à l’époque et
qui aujourd’hui font un malheur, les nouvelles technologies (oui, elle est un
peu tirée par les cheveux celle-là, mais avec les autres argu’ autour, je suis
sûre que ça va passer).
À mon avis, les premiers geek furent les artistes du XIXème
siècle ou du moins les personnages qu’ils jouaient en public étaient des geek
.
Le scenario auctorial de l’artiste rejeté par la société, qui vit seul avec sa
passion et qui ne se mêle pas à la foule donnera naissance au mythes auctoriaux
de l’artiste miéreux qui vit seul et meurt seul dans une chambre de bonne
miteuse, certains artistes du XIXème siècle son fichtrement proches de la
figure actuelle du geek.
Dans la littérature française, le personnage passionné et
reclus parce qu’il se consacre à sa passion est un
topoï majeur. Le docteur Faust qui ne vit que pour sa passion et
qui vendra même son âme au diable pour obtenir le savoir universel ne quitte
jamais son cabinet affairé à ses recherches et entièrement dévoué à sa passion
comme le geek qui reste dans sa chambre face à son pc. Parce qu’il préfère
rester dans sa chambre et qu’on imagine surtout qu’il a rompu avec le réel (eh
oui, le quidam de bas est persuadé que tous les jeunes sont accro), l’image du
geek me fait aussi penser à un célèbre personnage de la littérature, des
Esseintes qui dans
À Rebours décide
de fuir le réel qui l’angoisse et qui se plonge dans un monde qu’il se crée, sa
maison et comme un joueur de MMORPG ou de Sim’s, il récrée un espace virtuel
qui corresponde à ses goûts, ses attentes et ses fantasmes.« Le plaisir
[du personnage] attaché à des satisfactions qui n’intéressent que lui »
que l’on trouve dans cette œuvre, pourrait être une description du geek tel qu’on
se le figure généralement.
Alors, si finalement nous n’avons pas de mots en français
pour désigner ce type de personnes, peut-être est-ce simplement que le geek est
un génie au sens entendu par Baudelaire… Et n’est pas génie qui veut.
N’est
pas génie qui veut, et l’on n’est pas geek par mode. Nouveau dandy dans la
société actuelle, le féru de technologies affiche ses gadgets comme des
accessoires de mode. l’exemple le plus probant reste celui de ses personnes qui
mettent autour du cou leur plus beau casque, assorti à la tenue du jour, sans
qu’il ne soit connecté à un lecteur quelconque…
Les accessoires qui « font geek » se vendent très bien, mais celui
qui arbore sont joujou à des fins purement esthétiques et de mode est-il
vraiment un geek ? Est-ce qu’il ne reste pas qu’à la surface comme s’il ne
s’intéressait qu’à la coque de son smartphone, sans jamais mettre le nez dedans ?
À
l’époque, être un passionné qui ne suivait pas la mode était mal vu et s’offusquer
de mettre 100 euros (voire plus) dans un jeans de marque (le mien m’a coûté 7
euros et je t’emm***)
et dépenser sans
compter pour un livre, des barrettes mémoires ou un d-dur « de folie »
nous faisait passer pour un taré
…
Aujourd’hui, on dépense sans compter et le clivage fringues géniales/matos de
folie semble avoir disparu.
À mon humble avis on ne se dit
pas geek, on l’est ou on l’est pas, comme on ne se déclare comme étant un génie
que lorsqu’on en est un…
L’image comme l’attitude du geek
aujourd’hui a évolué et une étude plus approfondie (qui ne se contenterait pas
de reléguer des « on-dit » et des clichés) mériterait d’être faite.
Je n’ai aucune prétention en ce qui concerne mes propos et je vous invite à ne
voir ici, comme tout ce que je peux écrire d’ailleurs, qu’un délire qui
aimerait sembler plein de sagesse.